Rétro WTA 2023 : faim de règnes

 - Romain Vinot

Deux reines au pouvoir, quatre championnes différentes en Majeur, des rivalités épiques et des stars omniprésentes dans les grands rendez-vous : retour sur la superbe saison 2023 du circuit WTA.

Iga Swiatek / Finale Masters 2023©Fred Mullane / Camerawork USA / FFT

Du premier titre en Grand Chelem d’Aryna Sabalenka jusqu’au retour sur le trône d’Iga Swiatek, en passant par la surprise Vondrousova ou encore l’été doré de Coco Gauff, le tennis mondial féminin a connu un exercice 2023 particulièrement passionnant. Avant de se projeter sur le prochain chapitre qui s’annonce tout aussi palpitant, on fait le bilan, calmement, en se remémorant (presque) chaque instant.

Iga est redevenue 1ga

Une fois n’est pas coutume, commençons par la fin. Début novembre, du côté de Cancun, Iga Swiatek a fait coup double. Impériale en finale face à Jessica Pegula (6/1, 6/0), elle a signé sa 11e victoire consécutive pour s’adjuger un premier sacre au Masters et récupérer sa place de numéro un mondiale. Un trône qu’elle avait déjà occupé pendant 75 semaines consécutives avant d’en être brusquement éjectée suite à son élimination précoce en huitièmes de finale de l’US Open, tournoi dont elle était tenante du titre.

"Quand vous perdez cette place, vous ressentez forcément de la tristesse. Mais comme je l'ai déjà dit, tous les grands joueurs (Roger Federer, Rafael Nadal et Novak Djokovic) savent comment revenir, en travaillant dur, en se concentrant sur les choses importantes et en progressant" avait-elle confié à l’issue de sa défaite face à Jelena Ostapenko. Des paroles rapidement converties en actes.

Iga Swiatek / Huitièmes de finale US Open 2023©Corinne Dubreuil / FFT

Car si ses éliminations en huitièmes de finale à Melbourne, New York et en quarts à Wimbledon pourraient laisser penser que sa saison a été moins prolifique que la précédente, ses statistiques, sa régularité et son écrasante domination dans de nombreux événements prouvent le contraire. En 2023, "1ga" est la joueuse qui a remporté le plus de titres (6 en 8 finales disputées), le plus de victoires (68, contre 67 en 2022) et qui a évidemment distribué le plus de "bagels", la spécialité maison (23 contre 22 l’an passé). Bien qu’elle ne soit pas parvenue à rééditer son incroyable série de 37 victoires consécutives, la Polonaise a conservé sa couronne à Roland, une première depuis les trois sacres d’affilée de Justine Hénin (de 2005 à 2007).

Mais au-delà de sa très belle moisson et de ses victoires express toujours aussi spectaculaires, c’est sa force mentale qui a particulièrement impressionné cette saison. Celle qui a longtemps associé défaite et remise en question totale a passé un vrai cap sur le plan psychologique en quittant prématurément la grosse pomme. Délestée du fardeau que peut représenter la place de numéro un mondiale, elle s’est reposée et reconstruite pour redevenir une machine à gagner. Des succès dont elle profite beaucoup plus. "La pression liée à la place de n°1 était un peu écrasante au cours de la de saison, c'est pour cette raison que je n'ai pas joué toujours libérée jusqu'à l'US Open, a-t-elle récemment confié dans un entretien accordée à Eurosport Pologne. J'ai su que je devais changer d'attitude et aborder les prochains tournois différemment […] Je profite davantage que lors de la précédente saison, c'est sûr. J'ai eu plus de temps pour me reposer, pour profiter de ces moments. Par rapport au passé, c'est très motivant."

Elue joueuse de l’année par la WTA pour la deuxième année consécutive, Swiatek abordera 2024 au sommet de la hiérarchie et avec une envie et une sérénité retrouvées. Une mauvaise nouvelle pour ses concurrentes, balayées au Masters mais particulièrement fortes au cours de l’exercice écoulé.

Sabalenka, la régularité récompensée

Si la domination de la reine un temps privée de sa couronne a été moins prononcée qu’en 2022, c’est avant tout dû à la qualité de ses adversaires. A commencer par celle qui a longtemps été sa dauphine avant de s’emparer du trône, Aryna Sabalenka. "Pour moi, c’est la numéro un de la saison, a d’ailleurs expliqué Iga. Elle méritait cette place. Elle a remporté un Grand Chelem, elle a été finaliste d’un autre et demi-finaliste à deux reprises, sa saison est incroyable…"

Abonnée aux douloureuses éliminations dans le dernier carré en Majeur (Wimbledon en 2021, US Open en 2021 et 2022) et en proie à de récurrentes difficultés sur sa mise en jeu, "Saba" a entrepris un énorme travail lors de l’intersaison pour définitivement refermer le chapitre des frustrations. Déterminée et toujours aussi autoritaire sur le court, elle a remporté ses 13 premiers matchs de la saison dont le plus important de sa carrière : la finale de l’Open d’Australie. Un succès magistral, mérité et libérateur pour la joueuse de 25 ans, enfin entrée dans le cercle fermé des championnes en Grand Chelem. "Je suis juste super heureuse et fière, avait-t-elle confié à l’issue de son plus bel accomplissement. Je ne sais pas comment l’expliquer autrement : c’est le plus beau jour de ma vie !". Encore fallait-il ne pas s’arrêter en si bon chemin.

Ses finales à Indian Wells et Stuttgart mais surtout son titre à Madrid (en prenant au passage une éclatante revanche sur la quasi-invincible Swiatek) ont continué de faire germer l’idée d’un bouleversement au sommet de la hiérarchie. Loin d’être des échecs, ses demi-finales à Roland-Garros et Wimbledon ne lui ont toutefois pas permis de s’emparer du trône. Mais ce n’était que partie remise puisqu’il a simplement fallu attendre l’US Open pour voir son deuxième plus grand rêve se réaliser. "Devenir la n°1 mondiale, c’est un immense progrès et une grande réalisation. Je suis vraiment très fière de moi et de toutes ces années où j’ai travaillé dur pour arriver jusqu’ici. Mais j’ai toujours faim d’apprendre plus, de m’améliorer encore davantage et de m’assurer que sur le court, tout ne dépend que de moi" a alors confié celle qui regrettait de ne pas avoir conquis le sceptre lors d’une bataille sur le terrain avec sa rivale.

Un affrontement qui finalement eu lieu en demi-finale du Masters. Le dernier épisode d’une saison de "game of trône" qui aura tenu les amateurs de la discipline en haleine de janvier à novembre. Comme plusieurs autres joueuses, nul doute que la 29e patronne de l’histoire ne se contentera pas du second rôle de cette série au cours des prochains mois.

Rybakina et Gauff, un Big 3 en garde alternée

Dans le sillage de ce duel homérique entre les deux reines, c’est tout le Top 20 qui s’est montré à la hauteur durant la saison, afin de se partager de très belles parts du gâteau. Ainsi, certaines ont mis fin à une longue attente (Petra Kvitova et Maria Sakkari) et d’autres ont prouvé leurs qualités tennistiques et mentales (Jessica Pegula, Ons Jabeur, Barbora Krejcikova…) ou créé de véritables sensations (Karolina Muchova et Marketa Vondrousova, voir ci-après). Mais deux joueuses sont véritablement parvenues à mettre à mal la domination globale de la "Sabatek".

Au cours des premiers mois de l’année, Elena Rybakina s’est confortablement installée à leur table. La championne de Wimbledon 2022 a battu Iga à trois reprises, à Melbourne, Indian Wells et Rome. Si elle a cédé dans la troisième manche contre Sabalenka en finale de l’Open d’Australie, elle a pris sa revanche dans le désert californien pour remporter le premier Masters 1000 de sa carrière. Une période au cours de laquelle elle est également passée tout près du "Sunshine Double", en atteignant la finale du tournoi de Miami. Autant d’excellents résultats qui ont poussé les observateurs à parler de "Big 3". Mais celle qui a également été couronnée de lauriers dans la capitale italienne a ensuite quelque peu marqué le pas, sortant des trois derniers Grands Chelems et du Masters de manière trop prématurée. Mais cette idée d’un tiercé gagnant au sommet a perduré grâce à l’incroyable été doré d’un phénomène de précocité qui a parfaitement confirmé : Coco Gauff.

Elena Rybakina & Aryna Sabalenka / Finale Indian Wells 2023©Antoine Couvercelle / FFT

Considérée depuis des années comme la "nouvelle Serena" et propulsée sur le devant de la scène dès ses 15 ans et son premier huitième de finale en Grand Chelem à Wimbledon en 2019, la finaliste de Roland-Garros 2022 est devenue la superstar que le monde attendait, chez elle, aux Etats-Unis. Frustrée et déçue par son élimination dès le premier tour au All England Club, elle s’est remise en question, tout en s’attachant les services de Brad Gilbert, venu épauler son coach Pere Riba.

Une association qui a immédiatement porté ses fruits puisque la native d’Atlanta a remporté 18 des 19 matchs suivants, s’adjugeant au passage les titres à Washington, Cincinnati et bien sûr l’US Open. "En fait, c'est probablement à Roland-Garros que ça a vraiment changé, a-t-elle admis à l’issue de son plus beau sacre. Je me suis sentie obligée de retourner en finale et je n'ai pas réussi. Je me suis dit qu'il fallait que je reparte à zéro. Et puis Wimbledon est arrivé et ma défaite au premier tour a été difficile à encaisser parce que je trouvais que je jouais bien au tennis."

Tombeuse en trois manches de Swiatek dans le dernier carré à Cincinnati puis de Sabalenka en finale à New York, Coco a impressionné par son service redoutable, sa rapidité d’exécution, ses progrès en coup droit et son mental d’acier. En réalisant l’un de ses plus beaux rêves d’enfant, la joueuse de 19 ans a changé de dimension. Reste à savoir si elle peut encore viser plus grand.

Révélations et come-backs

Au-delà des confirmations et des prises de pouvoir, ce cru 2023 n’aurait pas été aussi savoureux sans une pincée de sensations et de surprises. La plus belle d’entre toutes restant sans doute le triomphe de Marketa Vondrousova au All England Club. Première joueuse non tête de série de l’ère Open à soulever le Venus Rosewater Dish, elle a réalisé cet exploit un an seulement après avoir assisté aux matchs qualificatifs de son amie Miriam Kolodziejova le bras dans le plâtre. Dans la foulée, la finaliste de Roland-Garros 2019 et des Jeux Olympiques de Tokyo a intégré le Top 10 mondial et disputé le Masters pour la première fois de sa carrière.

Une dernière grande réunion à laquelle devait également figurer Karolina Muchova, dont le tennis flamboyant a enchanté les spectateurs de Roland-Garros. Dotée d’une solide réputation de coupeuse de têtes, la Tchèque a réalisé un parcours magnifique avant de faire trembler la maîtresse des lieux en finale. Rattrapée par des blessures qui l’ont longtemps fait évoluer à un classement bien inférieur à son niveau, elle n’a malheureusement pas pu faire le déplacement à Cancun. Mais au vu de ses incroyables qualités tennistiques, ce n’est que partie remise…

Au rayon des come-backs flamboyants, impossible de ne pas évoquer la formidable année d’Elina Svitolina, honorée par la WTA. Déjà quart de finaliste à Roland-Garros, elle a atteint le dernier carré à Wimbledon neuf mois seulement après avoir donné naissance à sa première fille et trois mois après son retour sur les courts. "Si quelqu’un m’avait dit que je serais en demi-finale en battant la numéro un mondiale, je l’aurais pris pour un fou !" avait alors déclaré l’Ukrainienne, tout sourire. Quelques semaines plus tard, c’est une autre maman comblée, Caroline Wozniacki qui a réussi son retour en atteignant les huitièmes de finale de l’US Open, trois ans et demi après avoir mis un terme à sa première carrière sur les courts de l’Open d’Australie.

Des habituées du circuit qui partagent désormais régulièrement l’affiche avec des nouveaux visages, dont les ambitions n’ont d’égal que leur talent. L’an passé à la même époque, la prodige de 16 ans Mirra Andreeva était classée au-delà du Top 400 mondial. Finaliste malheureuse de l’Open d’Australie juniors face à Alina Korneeva, elle a effectué une entrée fracassante chez les professionnelles en atteignant les huitièmes de finale du WTA 1000 de Madrid, le 3e tour et les huitièmes de finale à Roland-Garros et Wimbledon, le tout en sortant des qualifications. Une première année de rêve pour la désormais 57e joueuse mondiale, récompensée par la distinction honorifique de la WTA de "Révélation de l’année".

Au palmarès, elle succède ainsi à Qinwen Zheng, qui a quant à elle été élue "Meilleure progression de l’année" grâce notamment à son quart de finale à l’US Open, ses deux titres à Palerme et Zhengzhou et sa finale à l’Elite Trophy de Zhuhai.

Ces jeunes pousses – sans oublier le retour au premier plan de Leylah Fernandez, moteur du Canada en Billie Jean King Cup – ont grandement contribué à rendre cette année 2023 particulièrement captivante. Et l’avenir s’annonce encore plus radieux…