La reine Serena

 - Amandine Reymond

Cette fois, c'est fini. Quelques semaines après les avoir annoncés, Serena Williams a fait ses adieux au tennis à l'US Open. Elle a disputé son dernier match cette nuit face à Alja Tomljanovic au troisième tour.

27 ans de carrière, 23 titres du Grand Chelem en simple, 73 titres sur le circuit, 319 semaines passées à la tête du classement WTA… Ces chiffres donnent le tournis. Ils ne sont pourtant peut-être pas assez révélateurs de la façon dont Serena Williams a marqué l’histoire du tennis et du sport en général. 

Alors qu’elle tire sa révérence pour, selon ses propres termes, "une évolution loin du tennis", la championne américaine qui a fait ce choix à contre-cœur dans la volonté de donner un petit frère ou une petite sœur à sa fille Olympia née en 2017, va sans aucun doute laisser une trace indélébile dans le monde du sport. 

Dans les pas de Venus

Née le 26 septembre 1981 à Saginaw dans le Michigan (Etats-Unis) 15 mois après sa sœur Venus, Serena Williams a, comme son ainée, toujours été destinée à une carrière de joueuse professionnelle par ses parents. Leur père Richard a toujours su exactement jusqu’où il voulait amener ses filles. Et il l’a fait, envers et contre tout/tous. Longtemps dans l’ombre de sa sœur Venus, Serena Williams a patiemment attendu son tour, suivant les traces de sa grande sœur tout au long de sa formation et de ses premiers pas sur le circuit. Une position pas toujours confortable mais que la cadette a parfaitement acceptée, tirant profit des expériences de sa sœur pour apprendre, elle aussi, en accéléré. 

"J’étais si triste de ne pas avoir toutes les opportunités qui se présentaient à Venus. Mais ça m’a aidée, confiait-elle dans sa chronique dans Vogue début août. Ça m’a poussée à travailler plus dur et ça a fait de moi une super guerrière. Je voyageais de tournois en tournois avec Venus en tant que sparring-partner et quand une place se libérait dans le tableau je jouais. Je l’ai beaucoup regardée jouer et quand elle perdait, je cherchais à comprendre pourquoi et je faisais tout pour éviter que la même chose m’arrive. C’est comme ça que j’ai grimpé si vite au classement car j’ai appris des défaites de Venus au lieu de l’apprendre en perdant moi-même. C’était comme si je jouais ses matchs moi aussi. J’ai regardé, écouté et ensuite attaqué. Mais si je n’avais pas été dans l’ombre de Venus, je ne serais jamais devenue celle que je suis. Quand quelqu’un disait que j’étais juste la petite sœur, ça me motivait énormément."

Venus et Serena Williams Open d'Australie 2017©Corinne Dubreuil / FFT

De ses débuts à trois ans sur un court public de Compton dans la banlieue de Los Angeles en Californie à son dernier match sur le central de l’US Open, Serena Williams a connu toutes les émotions sur les courts de tennis de la planète. Souvent victorieuse (858 victoires pour 156 défaites sur le circuit, soit 85% de succès), parfois battue mais toujours combative, elle est restée fidèle à sa devise : "attendre le meilleur de soi-même"

 "Je veux être géniale. Je veux être parfaite. Je sais que la perfection n’existe pas mais peu importe ce que ça représentait pour moi, je n’ai jamais voulu arrêter avant d’atteindre mon but. Pour moi, c’est ça être Serena : attendre le meilleur de moi-même et prouver aux gens qu’ils ont tort."

Serena Williams Wimbledon 2022©Corinne Dubreuil / FFT

Icône sur et en dehors du court

Si c’est sur le court que Serena Williams a construit son palmarès et commencé à écrire sa légende, c’est en dehors qu’elle est devenue une icône. Déterminée à prouver à tous ses détracteurs qu’ils avaient tort de lui fixer des limites, elle s’est évertuée à réaliser tous ses rêves (ou presque). "Il y a eu tellement de matchs que j’ai gagnés parce que quelque chose m’a énervée ou parce que quelqu’un m’a donnée perdante. Ça m’a toujours motivée. J’ai construit ma carrière sur le fait de canaliser ma colère et les choses négatives pour les transformer en quelque chose de positif. Ma soeur Venus a dit un jour que quand quelqu’un dit que tu ne peux pas faire quelque chose c’est parce que, eux, ne peuvent pas le faire. Mais je l’ai fait. Alors vous pouvez aussi."

Serena Williams Roland-Garros 2015©Corinne Dubreuil / FFT

Faire évoluer les mentalités, prouver que l’origine, la couleur de peau ou le sexe ne constituaient en rien un frein à la réalisation de ses rêves… Serena Williams, par son talent, sa capacité de travail et sa force de caractère a fait évoluer toute la société. 

"J’aime penser que grâce aux opportunités que j’ai eues, les femmes sentent qu’elles peuvent être elles-mêmes sur le court. Elles peuvent jouer de façon agressive et serrer les poings. Elles peuvent être fortes et belles en même temps. Elles peuvent porter ce qu’elles veulent, dire ce qu’elles veulent et être fières de tout ça. J’ai fait beaucoup d’erreurs dans ma carrière mais les erreurs sont des occasions d’apprentissage et je ne regrette rien. Je suis loin d’être parfaite mais j’ai été beaucoup critiquée et j’aime penser que certains moments difficiles que j’ai traversés en tant que joueuse professionnelle vont rendre les choses plus simples pour les prochaines générations."

Un empire à construire et entretenir

Travailleuse, curieuse de tout et passionnée de mode, cinéma, chanson… Serena Williams a ainsi souvent saisi les occasions qui se sont présentées à elle pour découvrir de nouveaux domaines. Apparition dans des séries tv, défilé de mode, création d’une ligne de vêtements… Sa célébrité et son aura ont depuis longtemps dépassé les frontières du monde du tennis. Outre le côté glamour qu’elle aime tant, Serena Williams est également devenue une véritable femme d’affaires au fil des ans. A l’image de son entreprise de capital risque Serena Ventures, créée il y a quelques années et à travers laquelle elle investit dans de jeunes entreprises, la championne aux 23 titres du Grand Chelem a bâti un empire qu’elle se plaît à diriger. 

 "Mon père a toujours été un entrepreneur. C’était un rêveur. Je crois que je le suis encore plus que lui. Parfois, quand vous vivez à Compton, il faut être entreprenant parce qu’on ne vous donnera peut-être pas d’opportunité. C’est important d’avoir des rêves, expliquait récemment la femme d’affaires lors d’une conférence dans le cadre de la Black Tech week à Cincinnati en juillet dernier. J’aime beaucoup aider à lancer des entreprises, les guider sur la meilleure façon de penser, de recruter. Les 10-20 premières embauches sont clés."

La famille d'abord

Sportive d’exception, femme d’affaires accomplie, Serena Williams a encore un peu plus écrit sa légende lorsqu’elle est revenue sur le circuit après la naissance de sa fille Olympia dont elle était enceinte de deux mois lors de sa victoire à l’Open d’Australie 2017. Malgré de graves complications de santé, la championne américaine a repris sa marche en avant, atteignant quatre nouvelles finales de Grand Chelem sans jamais s’éloigner trop longtemps de sa fille. "Je ne vais pas mentir, j’ai beaucoup d’aide. Mais je suis aussi une mère incroyablement impliquée. En cinq ans, Olympia n’a pas passé plus de 24h d’affilée loin de moi."

Faisant toujours passer son rôle de mère en priorité, Serena Williams a poursuivi sa carrière pendant plusieurs années pour tenter d’égaler le record des 24 titres du Grand Chelem de Margaret Court. Mais c’est finalement pour sa famille que la championne américaine a fait le choix de laisser cet objectif de côté. "Je ne veux vraiment pas être de nouveau enceinte en tant qu’athlète. J’ai besoin d’être à 100% dans le tennis ou 100% en dehors. Je mentirais si je disais que je ne voulais pas ce record. Evidemment que je le voulais. Mais je n’y pense pas au quotidien. Si je suis en finale de Grand Chelem, alors là oui j’y pense. Et j’y ai peut-être trop pensé et ça ne m’a pas aidée. Je pense que j’aurais dû avoir plus de trente titres du Grand Chelem. J’ai eu des occasions après la naissance d’Olympia. Je suis passée d’une césarienne et d’une deuxième embolie pulmonaire à une finale de Grand Chelem. J’ai joué en allaitant encore. J’ai joué en pleine dépression post partum. Mais je n’ai pas réussi. J’aurais dû, j’aurais voulu, j’aurais pu… Mais je n’ai pas réussi à jouer comme j’aurais dû ou j’aurais pu. Mais j’ai répondu présente 23 fois, et c’est bien. C’est même extraordinaire. Mais aujourd’hui, si je dois choisir entre construire mon palmarès tennistique ou construire ma famille, je choisis cette dernière."

Une légende qui va continuer de s’écrire

 

Si Serena Williams ne refoule plus jamais un court de tennis en tant que joueuse professionnelle (après le double disputé en compagnie de sa sœur), son charisme, sa personnalité et son aura vont eux continuer à briller dans l’histoire du sport professionnel. Grâce à son palmarès bien sûr mais aussi (et surtout ?) grâce à tout ce qu’elle a entrepris et va continuer à entreprendre en dehors des courts. 

"J’espère que les gens me voient comme quelqu’un qui représente plus que le tennis. J’admire Billie Jean King car elle a dépassé les limites de son sport. J’aimerais qu’on dise : Serena est ça et ça et elle a été une grande joueuse de tennis et a gagné ces titres en Grand Chelem…

Je suis catastrophique pour les adieux, la pire du monde. Mais sachez que je vous suis plus reconnaissante que je ne pourrai jamais l’exprimer avec des mots. Vous m’avez portée vers tant de victoires et de trophées. Cette version de moi va me manquer, cette fille qui jouait au tennis. Et vous allez me manquer", écrivait-elle en conclusion de sa chronique dans Vogue. 

Et Serena aussi manquera au tennis…