Rétro ATP 2024 : bienvenue dans une nouvelle ère

Officiellement terminé le week-end dernier, l’exercice 2024 a grandement marqué les esprits des fans et des observateurs du circuit masculin.

Jannik Sinner / Remise de prix US Open 2024©Corinne Dubreuil / FFT
 - Romain Vinot

Un nouveau patron seulement mis en difficulté par son grand rival – vainqueur comme lui de deux Majeurs –, l’accomplissement d’une vie pour le joueur le plus titré de l’histoire et des visages plus ou moins connus qui souhaitent se faire une place entre les légendes d’hier et les ogres d’aujourd’hui… Retour sur la superbe saison ATP écoulée.

L’année de la "S1nnermania"

16 tournois disputés, 9 titres (en incluant la Coupe Davis), 73 victoires pour seulement 6 défaites et une impression de lévitation laissée sur les courts du monde entier, de Melbourne à Turin en passant par les Etats-Unis : l’année 2024 a définitivement été celle de Jannik Sinner. A 23 ans, l’Italien a pris les rênes du circuit à la manière d’un membre du Big 4 – qui ne compte aujourd’hui plus qu’un seul représentant en activité, nous y reviendrons –, écœurant tous ses adversaires par sa puissance, sa vitesse, sa précision, son mental et ses ajustements tactiques.

Troisième joueur de l’histoire à remporter l’Open d’Australie, l’US Open et les Finales ATP la même année (après Roger Federer et Novak Djokovic), il s’est offert le luxe de devenir maître sans perdre la moindre manche, une première depuis Ivan Lendl en 1986. Battu une seule fois depuis le mois d’août, il n’a laissé que des regrets à ses vis-à-vis, tous admiratifs de son talent et de son attitude sur et en dehors des terrains. "C'est sans doute l'un des meilleurs joueurs que j'ai affrontés. J'ai bataillé avec les membres du Big 4 quand ils étaient un peu plus âgés, et peut-être que leur vitesse n'était pas la même. Peut-être qu'à un moment donné, il perdra sa confiance et commencera à rater des balles. Dans le cas contraire, tout le monde, et pas seulement moi, s'attend à des années très, très difficiles parce qu'il est jeune […] Si vous voulez gagner un titre, vous l'affronterez à un moment ou à un autre et il n'est pas facile à battre. Beaucoup de gens essaient, beaucoup échouent" a très justement analysé Daniil Medvedev, passé du statut de bête noire à victime favorite du n°1 mondial en un an et demi.

Brillant individuellement, "S1nner" a également mis son humilité et sa bonne humeur au service du collectif pour permettre à son pays de soulever un deuxième Saladier d’Argent consécutif. Ou comment boucler une saison comme elle avait commencé, par un sacre et une domination sans partage. La question de la longévité va très rapidement revenir sur le tapis mais en attendant, le natif de San Candido a écrit son nom dans les livres d’histoire et semble bien déterminer à poursuivre sa moisson. "Ce sera la même chose l’année prochaine : on glanera tout ce qu’on pourra et le reste nous permettra d’apprendre. Je pense qu’avec mon équipe, c’est la mentalité que nous avons adoptée tout au long de l’année, en essayant d’élever mon niveau de jeu dans des moments spécifiques" avait-il conclu au Masters. Au-delà de sa régularité, il s’agira également de trouver de nouveaux opposants capables de le stopper puisqu’il n’y en a eu qu’un seul en 2024…

Alcaraz à pas de géant

Sur les six défaites de Jannik Sinner lors de ce savoureux cru, trois ont été l’œuvre de Carlos Alcaraz et ont abouti sur un titre, à Indian Wells, du côté de la Porte d’Auteuil et à Pékin, au terme de l’un des matchs de l’année. Mais ce ne sont évidemment pas les seuls faits d’armes du Murcien, auteur une nouvelle fois d’exploits homériques, à commencer bien sûr par son exceptionnel back-to-back de titres en Grand Chelem. Sur le court Philippe-Chatrier, il d’abord devenu le plus jeune joueur (21 ans et un mois) de l'ère Open à conquérir trois titres majeurs différents, a fortiori sur trois surfaces différentes et le premier à glaner le tournoi parisien en remportant la demi-finale puis la finale en cinq sets. "C’est le titre dont je suis le plus fier, avait-il commenté à l’issue de son parcours victorieux. Connaissant tous les joueurs espagnols qui ont gagné ici, inscrire mon nom au palmarès est quelque chose d'incroyable. J'ai rêvé de vivre ce moment et d'être à cette place depuis que j'ai commencé le tennis, vers cinq ou six ans."

Quelques semaines plus tard au All England Club, sa masterclass en finale lui a permis de devenir le 6e joueur de l’ère Open à réussir le doublé Roland-Garros – Wimbledon la même année, rejoignant ainsi Rod Laver, Björn Borg, Roger Federer, Rafael Nadal et Novak Djokovic. Parallèlement à ses accomplissements et records toujours plus nombreux, "Carlitos" suscite l’admiration de ses pairs et des supporters par sa technique, sa qualité de frappe et son étincelant sourire après chaque point. Pour lui plus que pour tous les autres, le tennis est un jeu et plus la bataille est âpre et spectaculaire, plus il est heureux. Et pour ne rien gâcher, il se trouve que bien souvent à la fin, c’est lui qui gagne. Une rage de vaincre qui n’est pas sans rappeler un certain Rafa, dont il est régulièrement appelé à prendre la succession.

La saison des adieux

Une succession officiellement d’actualité depuis ce triste 19 novembre 2024, date à laquelle l’enfant de Manacor devenu légende a fait ses adieux sur le court du Palais des Sports José Maria Martin Carpena de Malaga. Sa rage de vaincre, son coup droit lasso, son toucher, ses incroyables batailles face à ses plus grands rivaux, son mental d’acier, son palmarès gargantuesque ou encore son attitude irréprochable sur et en-dehors des courts… L’empreinte laissée par Rafael Nadal est indélébileUn monstre sacré rappelé à l’ordre par un corps qui ne l’a jamais laissé en paix et qui ne lui aura pas permis de livrer la dernière saison qu’il espérait. "La réalité, c’est que vous ne voulez jamais que ce moment arrive, je ne suis pas fatigué de jouer au tennis mais mon corps ne veut plus. Il faut accepter la situation et je me sens très privilégié. J'ai pu faire de l'un de mes hobbies une carrière, et cela a duré bien plus longtemps que je ne l'aurais imaginé. Je ne peux qu'être reconnaissant" a-t-il confié, ému aux larmes comme des millions de téléspectateurs derrière leur petit écran. Il restera, à jamais, l’homme aux 22 titres du Grand Chelem dont 14 à Roland-Garros. Gracias, Rafa.

Un guerrier ultime qui a très souvent croisé la route d’un autre combattant émérite du Big 4, lui aussi retraité cette année : Andy Murray. L’ancien n°1 mondial, vainqueur de trois Majeurs, a tout tenté pour continuer à jouer au plus haut niveau après des adieux déchirants lors de l’Open d’Australie 2019 qui n’étaient finalement qu’un simple au revoir. Une mission pleinement réussie, à l’image de ses innombrables marathons disputés depuis, comme celui de 5h45 face à Thanasi Kokkinakis dans la nuit de Melbourne en 2023. Une abnégation et une haine de la défaite qui valaient bien un hommage royal organisé sur le Centre Court de Wimbledon, quelques semaines seulement avant ses dernières batailles sur la terre battue parisienne à l’occasion des Jeux olympiques. Thank you, Sir Andy.

Champion lors de l’édition 2020 de l’US Open et triple finaliste en Grand Chelem (deux fois à Roland-Garros en 2018 et 2019), Dominic Thiem était censé prendre le relais de ces géants. Mais une blessure au poignet droit en a décidé autrement, l’empêchant d’accomplir son destin malgré des années de lutte contre la douleur et la disparition de ses sensations. Comme Juan Martin Del Potro à Buenos Aires quelques mois auparavant, c’est chez lui à Vienne que l’Autrichien a disputé le dernier match officiel de sa très belle carrière. Danke Domi.

Djokovic, une si longue attente

Lui n’est pas décidé à raccrocher la raquette et sa quête de gloire et de records semble loin d’être terminée. Privé de récompenses jusqu’en août malgré une demie à l’Open d’Australie et une finale à Wimbledon, le joueur aux 24 titres du Grand Chelem, 40 Masters 1000 et 7 couronnes de maître est encore un peu plus entré au panthéon de son sport, probablement au moment où on l’attendait le moins. Après quatre tentatives infructueuses et une première médaille de bronze remportée à Pékin en 2008, Novak Djokovic a glané le seul titre qui manquait encore à son immense palmarès, deux mois seulement après une opération du ménisque.

Au terme d’un combat extraordinaire d’intensité face à Carlos Alcaraz, il est devenu le cinquième joueur de simple de l’histoire – le plus âgé – à réussir le Golden Slam en carrière (remporter les quatre Majeurs et la médaille d’or olympique) après Andre Agassi, Steffi Graf, Rafael Nadal et Serena Williams. "Ce moment dépasse tout ce que j’ai imaginé, espéré et vécu jusqu’ici, a-t-il expliqué après son incroyable accomplissement. J’ai toujours dit que représenter mon pays a toujours été ma plus grande priorité et mon plus grand honneur, que ce soit en Coupe Davis ou aux Jeux Olympiques. Porter haut les couleurs de la Serbie, c’est ce qui me motive le plus. C’est probablement le plus grand exploit de ma carrière."

Un plateau toujours plus relevé

A la lecture des précédents exploits énumérés, on pourrait penser que les autres protagonistes se sont partagés des miettes. Que nenni, nombreux d’entre eux ont confirmé leur nette progression par des sacres et places d’honneur qui en disent long sur la densité de talents du circuit. Pleinement remis de son effroyable blessure à la cheville survenue au printemps 2022, Alexander Zverev s’est installé confortablement à la place de dauphin, grâce notamment à deux succès en Masters 1000 (Rome et Paris) et une deuxième finale de Grand Chelem en carrière, à Roland-Garros. Battu lui aussi sur la dernière marche mais cette fois à New York et Turin, Taylor Fritz a franchi un nouveau cap, récompensé par le meilleur classement de sa vie (4e). Demi-finaliste à Wimbledon puis médaillé de bronze aux JO, Lorenzo Musetti a connu une période très faste, tout comme le successeur désigné d’Andy Murray, Jack Draper, champion à deux reprises (Stuttgart, Vienne), battu dans le dernier carré à Flushing Meadows et désormais n°1 britannique.

La liste est longue et ne fait que s’agrandir au fur et à mesure de l’éclosion de stars confirmées ou en devenir comme Arthur Fils (meilleur joueur en catégorie 500 cette saison), Jakub Mensik (finaliste à Doha pour son premier tournoi ATP) ou encore Joao Fonseca, champion des Finales Next Gen qui les réunissaient tous les trois. Mention spéciale également à Giovanni Mpetshi Perricard, titré à Lyon, Bâle et également huitième de finaliste à Wimbledon.

Reste désormais à savoir quelle place parviendront à prendre ces "nouveaux venus" lors du prochain exercice, qui s’annonce tout aussi riche que cette édition 2024.