Djokovic : moins jouer pour mieux jouer

 - Rémi Bourrieres

Le Serbe semble désormais focalisé sur les grands événements.

Fut-un temps où Novak Djokovic, assoiffé de titres, voulait gagner tout ce qui se présentait à lui. À 32 ans, le numéro un mondial semble désormais exclusivement motivé par les grands événements. Un bon choix ?

Oui, car il joue sur une filière longue

À l'inverse d'un Rafael Nadal, qui a progressivement changé, voire révolutionné son système de jeu au fil des ans, ou même d'un Roger Federer (re)devenu de plus en plus agressif, le Serbe est peu ou prou resté le même joueur. Un joueur adepte de la filière longue.

C'est d'ailleurs chez lui l'une des choses qui impressionne le plus Rod Laver, interrogé à ce sujet à l'occasion de la conférence de presse qu'il a donnée lundi à Roland-Garros : "Novak, ce n'est pas un tennis 'bang bang'. Il gagne tous les points l'un après l'autre, en les construisant depuis sa ligne de fond."



La société Infosys, chargée de récolter de données statistiques pour Roland-Garros et l'ATP, avait par exemple relevé que lors de son succès l'an passé à l'US Open, 19 % des échanges disputés par Djokovic étaient allés au-delà des neuf coups de raquette. Un Federer tourne à moins de 8 % sur la même statistique.

Or, chacun sait que passée la trentaine, les facultés de récupération, physiques mais aussi mentales, ne sont plus les mêmes qu'à 20 ans. Pour durer, Djokovic est obligé de faire des choix.

Oui, car il a une confiance naturelle

Tous les joueurs au monde ont besoin de victoires pour nourrir leur confiance. Mais certains un peu moins que d'autres. "Quand tu t'appelles Novak Djokovic, que tu es numéro un mondial, que tu as gagné tous les titres du Grand Chelem et tous les Masters 1 000, tu as, a priori, suffisamment de victoires à ton actif pour avoir confiance en toi dans n'importe quel contexte", estime l'ancien n°2 mondial Tommy Haas.

Après son sacre à l'Open d'Australie, Djokovic a pris un mois "off", est revenu très timidement en mars sur la tournée américaine (un match gagné à Indian Wells, deux à Miami) avant de débuter piano la saison sur terre battue par une défaite en quarts à Monte-Carlo face à Medevedev.



Mais ça ne lui a joué aucun tour lorsqu'il s'est agi de changer de braquet et d'accélérer subitement la cadence à l'approche de la dernière ligne droite. En mai, "Djoko" s'est envolé avec un titre à Madrid suivi d'une finale à Rome face à Nadal.

C'était nécessaire, malgré tout. Car même si l'on s'appelle Djokovic, il reste compliqué d'arriver sans référence à Roland-Garros, le tournoi du Grand Chelem où le "tunnel" de préparation est le plus long si l'on prend pour point de départ le précédent Grand Chelem.

Depuis Andre Agassi il y a 20 ans, un seul homme a triomphé à Paris sans avoir disputé la moindre finale préalable sur terre battue : Stan Wawrinka, en 2015. Mais le Suisse avait battu Nadal à Rome…

Oui, car il a trouvé son équilibre

Au début de sa carrière, Novak jouait plus d'une vingtaine de tournois par an, avec un "pic" à 22 en 2007 et 2009. Il a radicalement allégé son programme à partir de 2011 (quinze tournois disputés), sa première année "Cosmic". Depuis, il conserve globalement le même calendrier.

Djokovic ne joue donc pas moins. En revanche, il gagne "moins" (selon ses standards). L'année 2017, celle de ses 30 ans, celle aussi de sa blessure au coude, a été sa première depuis 2011 avec moins de six titres au compteur. En 2018, il n'en a gagné "que" quatre, dont deux Grands Chelems et deux Masters 1 000. En 2019, pour l'instant, il est sur les mêmes bases : deux titres dont un Grand Chelem et un Masters 1 000.



Il est donc loin le Djokovic de 2015, qui avait "enquillé" 11 titres en une saison (son record). Son titre à Roland-Garros en 2016, après lequel il a ressenti une forme d'absolu, mais aussi d'affliction, a marqué en ce sens une rupture.

Roland-Garros 2019 / Djokovic©Nicolas Gouhier / FFT

Oui, parce qu'il y a la "jurisprudence" Federer

Dans un passé encore récent, la norme était de considérer qu'il fallait enchaîner pour "performer". Un concept que certains poussent encore aujourd'hui à l'extrême, comme Benoît Paire, qui a disputé 30 tournois l'an dernier.

Et puis est arrivée la "jurisprudence" Roger Federer, absent pendant six mois en 2016 avant de resurgir tel un héros en 2017 pour décrocher, à l'Open d'Australie, son premier titre du Grand Chelem depuis cinq ans, en terrassant Nadal en finale grâce à un revers transfiguré.

"À mon époque, nous jouions toutes les semaines parce qu'il fallait gagner notre vie, nous ne pouvions pas nous permettre de prendre des pauses, expliquait Rod Laver.

Pourtant, j'aurais bien aimé le faire parfois pour pouvoir mieux travailler un coup spécifique. C'est souvent la raison pour laquelle des joueurs s'absentent quelques semaines. Ils ressentent davantage le besoin de s'entraîner que de jouer en compétition."



Pour les plus "anciens", le règlement leur en donne d'ailleurs la possibilité. Un joueur de plus de 30 ans, comptant au moins 600 matchs ATP au compteur et douze ans de professionnalisme, est désormais totalement exempté de Masters 1 000.

Même si Djokovic, à l'inverse d'un Federer, ne s'est pas encore servi de cette règle pour faire des impasses, cet ajustement est révélateur de la prise de conscience des instances de l'importance de jouer moins. Pour - éventuellement- gagner plus !