Nadal – Djokovic : récit d’un incroyable chassé-croisé

 - Romain Vinot

Depuis un an, Rafael Nadal et Novak Djokovic se livrent un duel à distance haletant, qui sera sublimé ce mardi par leur 10e confrontation à Roland-Garros.

Novak Djokovic & Rafael Nadal / Roland-Garros 2022©Philippe Montigny / FFT

Article mis à jour le 30 mai 2022

Placés dans la même partie de tableau par le hasard du tirage au sort, Rafael Nadal et Novak Djokovic se retrouvent dès les quarts de finale de cette édition 2022. Une première depuis le sommet livré par les deux hommes dans le dernier carré l’an passé. Une nouvelle étape de leur rivalité, qui a connu de nombreux rebondissements en un an.

Passation de pouvoir

Souvenez-vous le 11 juin 2021. Exceptionnellement autorisés à rester installés sur leur siège malgré le couvre-feu alors en vigueur, les spectateurs du court Philippe-Chatrier assistent à un séisme. Diminué par des douleurs au pied - qu’il parvient plus ou moins à gérer depuis le début de sa carrière -, le roi Nadal abandonne son trône, au profit de son plus grand rival, dont les coups de boutoir et la domination psychologique auront raison de Stefanos Tsitsipas deux jours plus tard.

Un nouvel acte fondateur dans la rivalité exacerbée entre les deux hommes : dans le jardin de "Rafa", Novak Djokovic vient cueillir son 19e titre du Grand Chelem, revenant à une seule unité de l’Espagnol et de Roger Federer. L’image triomphale du numéro un mondial tranche alors nettement avec celle du maître historique des lieux, de nouveau contraint d’observer une longue période de récupération.

20 – 20 – 20

Autant dire que le Serbe en profite. Vainqueur de l’Open d’Australie et donc de Roland-Garros, il se présente à Wimbledon en grandissime favori. L’idée d’un Grand Chelem calendaire germe déjà dans la tête des observateurs tant le natif de Belgrade domine sa discipline. Le All England Club assiste bien à l’émergence de stars en devenir comme les Canadiens Denis Shapovalov, Félix Auger-Aliassime ou le Polonais Hubert Hurkacz mais rien ni personne ne semble capable d’arrêter la prophétie en marche. L’empereur Djokovic assène un dernier coup fatal au chevalier Matteo Berrettini pour décrocher son 6e Wimbledon, le 20e Majeur de sa carrière. Pour la première fois, son nom se retrouve sur la même ligne que les deux autres légendes de sa discipline au palmarès. Quelques semaines avant de les dépasser ?

Car s’il est un peu trop juste pour le Golden Slam – renversé à la surprise générale par Alexander Zverev en demi-finales des Jeux Olympiques alors qu’il menait 6/1, 3-2 service à suivre –, ses ambitions au moment d’entamer l’US Open n’ont pas bougé d’un iota. Dans le même temps, Nadal tente bien un timide retour sur le circuit mais après un succès sur Jack Sock et une défaite contre Lloyd Harris à Washington, il annonce raisonnablement son forfait pour New York et la suite de la saison. Si Grand Chelem calendaire il doit y avoir, le Majorquin le vivra depuis son canapé, sans pouvoir inverser le cours de l’histoire.

Novak Djokovic Wimbledon 2021 winner©Corinne Dubreuil / FFT

Medvedev en arbitre

Le caillou dans la chaussure du protégé de Goran Ivanisevic se nomme finalement Daniil Medvedev. Acteur malheureux d’une finale fantastique contre Rafa en 2019, le dauphin ne manque pas sa deuxième occasion à l'US Open face à un Serbe humain, en larmes dans le troisième set. "Le soutien, l’énergie et l’amour que j’ai reçus du public, je m’en souviendrai toute ma vie. C’est pour ça que j’ai pleuré pendant le changement de côté. L’émotion et l’énergie étaient trop fortes. Honnêtement, c’est aussi fort que de gagner 21 Majeurs", avait-il déclaré après la rencontre. Le record peut bien attendre la prochaine levée, en Australie, "chez lui". C’est en tout cas l’avis de tous les spécialistes, qui ne voient pas comment il pourrait passer à côté d’une telle opportunité.

Seulement voilà, en raison de la crise sanitaire, le numéro un mondial n’est pas présent à Melbourne pour défendre son titre, contrairement à Rafael Nadal, revenu sur la pointe des pieds après de longs mois d’absence. Un pied qui semble d'ailleurs aller beaucoup mieux ou en tout cas qui le fait moins souffrir. De là à le voir jouer les premiers rôles dans une Rod Laver Arena qui ne l’a sacré qu’une seule fois, il y a un pas que seuls les fans sont prêts à franchir. Et pourtant…

Lancé par un titre à l’ATP 250 de Melbourne, le Taureau de Manacor monte progressivement en puissance. Au bord du précipice face à Denis Shapovalov en quarts de finale, il passe sans sourciller l’obstacle Berrettini pour s’ouvrir les portes d’une 29e finale en Majeur. Un miracle permanent poussé à son paroxysme face à un Medvedev mué en arbitre du duel à distance. Dos au mur, mené deux sets à rien, il sauve trois balles de break à 3-2 contre lui dans la troisième manche. Niveau de jeu, suspense, scénario inimaginable, enjeux : la beauté du tennis résumée en une finale d’anthologie.

Rafael Nadal & Daniil Medvedev / Open d'Australie 2022©Corinne Dubreuil / FFT

Dynamique brisée

Privé de "sa" couronne quelques mois plus tôt, l’Espagnol est passé de potentiel retraité (selon ses dires) à joueur le plus titré de l’histoire en Grand Chelem, en terrain rarement conquis. Son rival n’a pas manqué, au diapason du monde entier, de le féliciter. "Bravo pour ton 21ème Grand Chelem. Incroyable accomplissement. Ton ‘fighting spirit’ toujours impressionnant l’a emporté une fois encore. Enhorabuena (félicitations)".

Inimaginable quelques semaines auparavant, la dynamique s’est donc totalement inversée – en témoigne sa série de 20 victoires consécutives – avant de se briser. D’abord en raison d’une côte fêlée qui le prive du titre à Indian Wells et d’une participation à Miami, Monte-Carlo et Barcelone. Puis de nouveau à cause de son pied, qui ne lui a laissé qu’un répit de courte durée.

Le hasard faisant bien - ou mal - les choses, sa rechute coïncide avec le retour au premier plan de Novak Djokovic. Privé de tournées australienne et américaine, celui qui n’aura perdu sa place de numéro un mondial que deux semaines (au profit de Daniil Medvedev, toujours lui) se teste à Monte-Carlo, prend de la hauteur à Belgrade puis Madrid et atteint les sommets à Rome. Une capitale italienne dans laquelle Nadal capitule, incapable de se mouvoir face à Denis Shapovalov.

L’histoire s’écrit à Roland

Une semaine avant Roland-Garros, le tenant du titre soulève un trophée pendant que le maître des lieux soulève les inquiétudes. Mais alors qu’un forfait n’était pas à exclure, "Rafa" a posé ses valises Porte d’Auteuil avant d'enchaîner un entraînement rassurant en public. Frais et en confiance, Novak Djokovic a suivi le même programme puis s'est rendu au tirage au sort du tournoi dont la magie a placé les deux rivaux dans la même partie de tableau. "Il y a ici des joueurs qui sont en meilleure forme que moi, ça ne fait aucun doute. Mais qui peut dire ce qui va se passer demain ou après-demain ? Si on repense à l'Australie, j'ai pris ma chance et ce ne sera pas différent ici. Ce sera difficile, mais je crois en moi" a prévenu le Majorquin.

Difficile, ça l'a notamment été face à Félix Auger-Aliassime après trois premiers tours plutôt tranquilles. De son côté, Novak Djokovic a éteint les timides velléités de tous ses adversaires, Diego Schwartzman compris. De quoi arriver beaucoup plus frais demain soir sur le court Philippe-Chatrier.

A distance depuis près d’un an, le duel historique que se livrent les deux protagonistes va donc connaître un nouveau sommet de légende. Une fois de plus, l’histoire s'écrira à Roland-Garros.

Rafael Nadal et Novak Djokovic / Roland-Garros 2022©Clément Mahoudeau / FFT