Ruud, le pilier de la terre

Après un début de saison très compliqué, Casper Ruud a retrouvé toute l'efficacité de son tennis sur terre battue à l'approche de Roland-Garros, où il tentera comme l'an dernier de se hisser en finale, aux dépens d'Alexander Zverev. Toujours jalonné de cette discrétion qui le caractérise, le parcours du Norvégien est encore une fois d'une solidité extrême.

Ruud, un parcours à la Ruud

Il y a eu les batailles enfiévrées de la première semaine, marquée par sa chaude ambiance et des matchs d'ores et déjà passés à la postérité. Il y a le combat des rois qui s'annonce entre Alcaraz et Djokovic. Il y a la renaissance magnifique de Zverev. Et puis il y a Casper Ruud, qui a tracé sa route en demi-finales dans le plus grand des calmes. Comme d'habitude, le discret et policé Casper n'a pas fait beaucoup de bruit depuis le début du tournoi. Mais il est là, toujours là, porté par son tennis décidément gravé dans l'ocre.

Difficile de faire plus "ruudesque" que le parcours du Norvégien cette année à Paris. Pas de réel coup d'éclat. Pas de match qui aurait particulièrement électrisé Paris. Aucun mot plus haut que l'autre. Mais une solidité à toute épreuve pour se sortir d'un parcours pourtant bordé d'épines, avec notamment deux chausse-trappes en huitièmes face à Nicolas Jarry et surtout en quarts face à Holger Rune, qui l'avait devancé dans la hiérarchie des outsiders – voire des favoris – avant ce Roland-Garros. Tous pilés comme de la glace par l'homme venu du grand Nord, au sang-froid extrême quand il fait chaud.

Casper Ruud en demi-finales de Roland-Garros ? Une évidence pour un joueur toujours placé dans les grands rendez-vous depuis son éclosion au plus haut niveau en 2020. Mais l'évidence était devenue improbable au sortir d'un début de saison plus que poussif, selon ses standards : cinq petits matchs gagnés sur les trois premiers mois de l'année. Que n'a-t-on pas lu ou entendu, alors, sur Casper Ruud, prétendument dépassé, surcoté, bref fini.

L'intéressé a reconnu s'être lui-même posé pas mal de questions. Et peut-être avoir commis l'erreur de partir disputer une série d'exhibitions en Amérique du Sud, fin 2022, plutôt que de se régénérer au sortir d'une saison aussi fructueuse qu'éprouvante, avec ses finales à Miami, Roland-Garros, l'US Open et au Masters. Mais il n'a jamais paniqué plus que ça.

"C'est drôle parce que je ne pense pas avoir fait les choses différemment, je pense même être un meilleur joueur que l'an dernier et pourtant, ça s'est beaucoup moins bien passé que l'an dernier, confiait-il à rolandgarros.com pendant sa résurgence romaine. C'est juste qu'en tennis, la densité de joueurs est très importante et il y a très peu de marge. Je me rends compte que les choses vont et viennent, peu importe à quel point tu essaies de bien faire. Et elles changent très vite, dans un sens ou dans l'autre."

Pour Ruud, les choses ont donc commencé à changer sur sa terre battue chérie. Sa saison sur ocre, marquée par un titre à Estoril et une demie à Rome, a peut-être été (malgré tout) moins prolifique que d'habitude. Mais tout s'est définitivement remis en place à Roland-Garros et plus spécialement sur ce court Philippe-Chatrier qui semble taillé pour lui, avec ce recul immense qui lui permet à la fois de se tenir très loin, comme il aime, et de repousser très loin l'adversaire.

Casper Ruud, c'est sa marque de fabrique, n'impressionne pas au premier coup d'œil parce qu'il n'a pas l'explosivité d'un Alcaraz ou la créativité d'un Rune. Mais son tennis est bâti dans de l'acier trempé et sa maîtrise émotionnelle n'a d'égale que son intelligence de jeu. Bref, jouer Casper, c'est casse-pied. Ça peut même être l'enfer.

"On sent que tout est réfléchi, à chaque fois qu'il fait un choix, c'est toujours le bon choix, jamais un choix par dépit, disait de lui mercredi soir le consultant de Prime Video, Jo-Wilfried Tsonga, qui avait disputé face à lui le dernier match de sa carrière, l'an dernier, sur ce court Philippe-Chatrier. Il n'y a pas beaucoup de fautes de jeu. A chaque fois, c'est parfait. Et c'est ce qui fait qu'il est aussi bon."

"Quand je le vois jouer, je me dis que ce garçon aurait pu être espagnol, renchérissait à ses côtés Guy Forget. Il développe des schémas de jeu très simples mais très efficaces. Pour faire ça, il faut être fort physiquement et mentalement car cela nécessite de tenir des échanges de 15-20 coups de raquette et de les enchaîner. Quand on est aussi sûr de soi sur ce plan, avec des schémas très marqués, un coup droit qui gicle bien, les adversaires souffrent…"

Et finalement, ils souffrent encore plus que l'an dernier, où le Norvégien avait connu un parcours plus compliqué pour arriver dans le dernier carré, à l'image d'un quart de finale plus disputé face au même Holger Rune. Cette année, sans se promener - loin de là -, il a tout de même plutôt mieux mené sa barque, avec trois sets abandonnés en cours de route. Et pourtant, la tête de série n°4 dit ressentir plus de pression.

"L'an dernier, je jouais tous les matchs de manière relâchée, parce que j'avais l'impression d'avoir fait quoi qu'il arrive une bonne saison sur terre battue, donc quelque part j'accueillais toute mes victoires comme un bonus, racontait-il en conférence de presse. Cette année, je ressens plus de pression du fait de devoir défendre ma finale, et du fait d'avoir moins bien joué sur terre battue avant Roland-Garros. Je n'ai pas le sentiment d'avoir joué mon meilleur tennis encore. Mais à chaque fois, j'ai su être opportuniste et saisir ma chance."

Bref, Ruud a fait du Ruud et devra encore faire du Ruud en demies contre Alexander Zverev, lui aussi présent l'an dernier à ce stade de la compétition, et qui a lui aussi traversé des zones de turbulence depuis, bien plus fortes encore. Difficile de dégager un favori dans cet affrontement entre deux vrais spécialistes, aux styles néanmoins différents. Une seule certitude : sous-estimer Casper Ruud serait une grave erreur.