Nancy Richey : "Gravé dans ma mémoire"

Rencontre avec la gagnante du premier Grand chelem de l'ère Open : Roland-Garros 1968.

Nancy Richey Roland-Garros 1968.© Chantal Kuntz / FFT.
 - Simon Cambers

Ce Roland-Garros 2018 marque le cinquantenaire du premier tournoi du Grand chelem de l’ère Open. C’est en effet à partir de 1968 que les joueurs passés professionnels, exclus des Majeurs, de la Coupe Davis et de la Fed Cup, ont vu les portes de ces compétitions se rouvrir. Rencontre avec la lauréate de cette édition 1968, Nancy Richey.

Deux mois plus tôt, à Paris, l’International Lawn Tennis Federation (future fédération internationale de tennis, ITF) a mis fin à l’ère de l’amateurisme "marron", où l'on distribuait des enveloppes sous la table en guise de prize money. Vainqueur du tournoi messieurs, l’Australien Ken Rosewall, vedette du monde professionnel, empoche 15 000 francs (environ 3000 dollars à l’époque). Quant à la lauréate féminine, l’Américaine Nancy Richey, encore amateure, elle refuse le prize money (environ la moitié du chèque offert à son homologue masculin) de crainte d’être exclue de la Fed Cup.

27 dollars par jour...

"En 1968, l’USTA [ndlr : la fédération américaine de tennis] n’autorisait pas ses joueurs à percevoir de prize money, raconte Richey depuis sa résidence au Texas, dans une interview réalisée par téléphone. Elle s’accrochait à la tradition de l’amateurisme. J’avais seulement droit à une indemnité de 27 dollars par jour et je suis d'ailleurs entrée en conflit avec la fédération à ce sujet. J’ai dû attendre de jouer Wimbledon pour toucher cette indemnité."

Malgré tout, les souvenirs de ce tournoi parisien de 1968 sont encore très frais dans la mémoire de la Texane, dont c’était le premier sacre à Roland-Garros. "J’ai l’impression que c’était hier. Avec tout ce qui s’est passé, cela reste vraiment gravé dans ma mémoire. Je me souviens aussi de ma victoire en Australie (en 1967), de la finale et du reste. Mais cela n’a rien à voir avec ce que nous avons vécu à Paris."

Nancy Richey Ann Haydon-Jones Roland-Garros 1968 Roger Cirotteau© Chantal Kuntz / FFT.
En plein mai 68

Ce Roland-Garros se dispute au beau milieu des événements de mai 68 qui mettent Paris sens dessus dessous : grèves, émeutes et protestations font alors la Une dans le monde entier. L’ancienne joueuse se rappelle un parfum de folie. "Quand on est jeune, on ne pense pas trop au danger, si tant est qu’il y avait du danger. Je ne me souviens pas d’avoir assisté à des manifestations. C’est juste que tout était bloqué. Les ordures s’accumulaient, il y en avait de gros amoncellements partout. Le téléphone ne fonctionnait pas. Impossible pour moi d’appeler mon père (qui était aussi son entraîneur) pendant le tournoi."

L’Américaine a même eu toutes les peines du monde à rallier Roland-Garros. "Nous jouions la Fed Cup à Roland-Garros la semaine avant le tournoi donc je suis restée là trois semaines, raconte-t-elle. Comme les aéroports étaient bloqués, l’équipe a dû atterrir à Bruxelles. Nous sommes restées là-bas un ou deux jours pour nous entraîner puis nous avons rejoint Paris en bus."

Roland-Garros 1968 - Naissance d'une nouvelle ère

Ce contexte perturbé n’a pourtant pas affecté ses performances raquette en main. Menée d’un set en demi-finales contre Billie Jean King, elle finit par l’emporter grâce à sa fraîcheur physique. Tout au long du tournoi, elle bénéficie également des conseils avisés de son frère, Cliff Richey, ancien membre du Top 10 et huitième de finaliste de cette édition. "Un match difficile, raconte Richey. A 4-4 dans le troisième, Cliff m’a incitée à passer à l’attaque. Billie commençait à vraiment accuser le coup physiquement et elle a fait des fautes directes à partir de ce moment."

Bien dans son époque

Bis repetita en finale. Menée un set à rien et 4-1 dans le deuxième, elle finit par triompher 5/7 6/4 6/1 d’Ann Haydon-Jones. Pour la petite histoire, la Britannique commet une double faute sur la balle de match. "Le dimanche de ma victoire, les grèves ont été levées et j’ai pu rentrer chez moi pour annoncer ma victoire à mon père. Pile au bon moment !"

Membre de l’Original 9 – les neuf joueuses à l’origine de ce qui deviendra le circuit WTA –, Richey aura bien gagné bien sa vie grâce au tennis. Certes, ses gains étaient modestes par rapport aux émoluments des joueuses actuelles, mais elle ne se verrait pas jouer aujourd’hui. "Il y a une bonne raison à cela : avec mon mètre soixante, je ne pourrais pas lutter contre ces filles d’1,80m. Et puis j’ai eu la chance de tout vivre. J’ai connu le tennis amateur, nous avons lancé le professionnalisme et j’ai joué sur le circuit pro. Ce parcours, je ne l’échangerais pour rien au monde."