Un jour, un point culte : "le coup de poignard" de Connors

 - Julien Pichené

En 1991, l'Américain abandonne au troisième tour. Mais il prend bien soin de gagner le dernier point du match.

31 mai 1991 - Court Central

C'est le retrait le plus célèbre et peut-être le plus applaudi de l'histoire de Roland-Garros. Et c'était un 31 mai. Il y a 28 ans, l'Américain Jimmy Connors (38 ans) abandonnait après quatre sets, ivre de fatigue, contre le jeune Michael Chang (19 ans). Mais avant de dire stop, ce lutteur magnifique avait bien pris soin de gagner le premier point du cinquième set.

Quand débute Roland-Garros 1991, on ne parle que des anciens ! On parle de Yannick Noah, absent pour la première fois depuis 1976. De Björn Borg, qui renonce au dernier moment à y faire son come-back. Et surtout de Jimmy Connors, le plus vieux des trois, et qui lui est bien là. Âgé de 38 ans et redescendu à la 324e place mondiale, l’ancien "number one" tente un retour sur le circuit (qu'il va réussir).

Pour son premier "Roland" depuis 1989, il aligne deux victoires contre son compatriote Todd Witsken (6/3, 6/3, 7/5) et l'Haïtien Ronald Agenor (6/4, 6/2, 3/6, 0/6, 6/4), avant de se retrouver au troisième tour contre un "gamin" de 19 ans Michael Chang, vainqueur du tournoi deux ans plus tôt.

"Personnellement, je vois Chang gros comme une maison", balance Daniel Cazal sur Antenne 2 lors de l’échauffement, comme s’il ignorait que "Jimbo" est le héros qui refuse de passer l’arme à gauche, le lutteur intrépide par excellence. Effectivement, il y a eu cinq sets !

Certes, il va abandonner. Et c’est en titubant qu’il va l’annoncer à l’arbitre Bruno Rebeuh. "Je ne peux plus jouer, mais vous pouvez jouer à ma place, je vous laisse une raquette si ça vous dit !" Mais Jimmy Connors ne s’est couché qu’après avoir glissé un petit "coup de poignard" à son adversaire.

Avant de dire stop, en perfide, Connors s'arrange pour gagner le premier point du cinquième set : un retour de revers gagnant qui transperce Chang, manquant de peu de le mettre à terre. Le point n'a rien d'exceptionnel en lui-même, mais c'est son contexte et ses conséquences qui le rendent inoubliable.

Jimmy ConnorsFFT

"Je n'ai jamais vu un telle ovation pour un abandon !"

Grâce à lui, Connors a pu en effet se retirer en menant au score : Chang s'est imposé 4/6, 7/5, 6/2, 4/6, 0-0 et 0-15. Et a surtout pu récolter une standing ovation géante en quittant le court au bras du kiné de l’ATP, Bill Norris.

"Il m'a demandé de bien le tenir", se souvient ce dernier. "Car il ne voulait pas tomber devant les 14 000 spectateurs du Central." Mais trente secondes plus tard en coulisses, une fois à l'abri des regards, il a fallu deux personnes pour aider le joueur à monter les escaliers menant aux vestiaires. Pendant ce temps, Chang quittait le court à son tour dans l'indifférence générale et la foule applaudissait toujours Connors.

"De toute ma vie, je n'ai jamais vu une telle ovation pour un abandon", confiera le soir-même l'ami et ancien joueur Ion Tiriac. Et le lendemain, dans L'Équipe, Jacques Carducci lui écrivait un vibrant hommage. "Jimmy, c’est une idole pour tous les âges. Pour les ados qui débusquent en lui le mythe du vieux héros de western, et pour nous tous qui revivons à chacun de ses matches, les castagnes de notre enfance... On t’aime Jimmy."