Swiatek, la "serial winneuse" du siècle ?

Si elle l'emportait à Roland-Garros, Iga Swiatek égalerait la plus grande série de victoires du 21e siècle.

Iga Swiatek, Roland-Garros 2022, entraînement©Cedric Lecocq / FFT
 - Rémi Bourrieres

On ne sait pas encore quelle sera la destinée d'Iga Swiatek dans ce Roland-Garros 2022, mais une chose est sûre : voilà bien longtemps qu'une favorite ne s'était dégagée de manière aussi claire, on n'ose dire écrasante, dans le tableau féminin.

Cela ne veut pas dire que la Polonaise va gagner, bien entendu. Mais elle sera autrement plus attendue que l'année de son premier sacre à Paris en 2020, lorsqu'elle s'était imposée à 19 ans sans perdre le moindre set, remportant par la même occasion son premier, et pour l'instant seul, titre du Grand Chelem.

Sacrée à Rome dimanche dernier mais aussi à Doha, Indian Wells, Miami – devenant au passage la quatrième joueuse de l'histoire à s'offrir le "Sunshine double" sur le ciment américain – et Stuttgart plus tôt dans la saison, Swiatek déboule Porte d'Auteuil en mode TGV, lancée sur une série de 28 victoires consécutives (la plupart expéditives) qu'elle pourrait porter à 35 en cas de sacre le 4 juin prochain, à moins d'avoir bénéficié d'un ou plusieurs forfaits sur sa route. Une route relativement dégagée qui la verra affronter au premier tour l'Ukrainienne Lesia Tsurenko, issue des qualifications et absente du grand tableau parisien depuis 2019, avant un potentiel rendez-vous en huitièmes face à une autre ancienne championne de Roland-Garros, Simona Halep (2018).

Comme Venus Williams ?

Le chiffre ne serait pas anodin : il lui permettrait d'égaler le record du circuit féminin au 21e siècle, établi par Venus Williams en l'an 2000. L'Américaine avait en effet gagné 35 matchs d'affilée entre sa victoire à Wimbledon et une défaite en finale à Linz face à Lindsay Davenport, remportant au passage cinq autres titres, dont l'US Open et les Jeux Olympiques de Sydney.

Si elle atteint les mêmes hauteurs que l'aînée des Williams (Serena, elle, s'était arrêté à 34 en 2013), Swiatek pourrait alors lorgner, pourquoi pas, vers les séries les plus impressionnantes de l'ère Open : celles de Monica Seles (36 succès en 1990), Chris Evert (55 en 1974), Margaret Court (57 en 1972), Steffi Graf (66 entre 1989 et 1990) et celle de la recordwoman du genre, Martina Navratilova, qui avait remporté 74 matchs de rang en 1984, année où elle avait réalisé le Petit Chelem.

Martina Navratilova lors de sa victoire à Roland-Garros 1984 face à sa grande rivale Chris Evert.© FFT

Surplus de pression

On n'en est pas là, bien sûr. Et ce record est sans doute, à l'heure qu'il est, le cadet des soucis de Swiatek, dont l'attention est totalement tournée vers Roland-Garros. Mais difficile néanmoins pour la Polonaise d'occulter complètement la question, d'autant que celle-ci lui est, évidemment, sans cesse posée.

"C'est une bonne question, mais personne ne sait où ma série s'arrêtera, disait-elle ainsi en souriant, à Rome, après son succès face à Ons Jabeur en finale. Pour l'instant, je suis juste fière de moi, très heureuse de prendre les choses les unes après les autres, et de me concentrer sur le positif. C'est exactement ce que je dois faire à Roland-Garros. Et si j'y arrive, je pense que ça ira."

Pourtant, un tel matelas de victoires peut être à double tranchant. On garde le souvenir de Novak Djokovic qui, en 2011, était lui-même arrivé à Roland-Garros sur une série de 39 succès – il était invaincu depuis le début de l'année -, mais avait finalement chuté en demi-finales, vaincu par Roger Federer au terme d'un match grandiose, mais aussi par la pression inhérente à un tel poids.

Iga Swiatek est sans doute la première à en avoir conscience, tout comme elle est consciente que l'émotivité a pu être sa plus grande faille, par le passé. Mais elle semble aujourd'hui parfaitement préparée à tout cela, et il y a fort à parier que cette "problématique" est au centre des discussions qu'elle peut avoir régulièrement avec sa préparatrice mentale, Daria Abramowicz.

Iga Swiatek, entraînement, Roland-Garros 2022, 19/05/2022©Nicolas Gouhier / FFT

La n°1 mondiale, en tout cas, occulte la pression en refusant de se projeter excessivement par rapport à cette série. "Je me dis que quoi qu'il en soit, j'ai déjà accompli beaucoup de choses cette saison donc j'ai le sentiment de pouvoir jouer libérée, pas en pensant que je dois absolument gagner chaque match ou chaque tournoi. Cette année, la pression que je me mets toujours à moi-même est, au contraire, un peu moins forte, même si les attentes sont au contraire plus élevées. Et puis, j'ai aussi plus d'expérience…"

Impossible de savoir si l'enjeu finira par la rattraper à un moment ou à un autre, mais on a tendance à ne pas s'inquiéter pour Swiatek, tant elle a pris une nouvelle dimension cette année. Et elle l'a fait, hasard ou pas, depuis la retraite d'Ashleigh Barty, qui a brusquement quitté la scène tennistique en mars dernier, quelques semaines après son titre à l'Open d'Australie, alors qu'elle était n°1 mondiale, loin devant tout le monde et notamment loin devant Swiatek, qui a dû assumer le patronat sans la moindre transition.

Ash Barty et Iga Swiatek à Madrid en 2021.©Antoine Couvercelle / FFT

Passation de pouvoir

Un cadeau empoisonné que la (par ailleurs) demi-finaliste du tournoi juniors 2018 a parfaitement assumé. En s'inspirant, justement, de la championne australienne, gagnante pour sa part à Roland-Garros en 2019. "A mes yeux, elle avait le plus beau jeu du circuit et je l'ai toujours admirée. Elle m'a aussi motivée pour analyser mon propre jeu et devenir encore meilleure. C'est sûr que si elle était là, les choses seraient beaucoup plus dures pour moi…"

Mais Barty n'est plus là. De là à dire que la voie est libre pour Iga Swiatek, il y a un fossé que nous ne franchirons pas si vite, tant les prétendantes seront nombreuses à lui contester le titre, à commencer par Ons Jabeur, titrée à Madrid et finaliste à Rome. Mais disons que tous les voyants sont au vert pour qu'elle devienne la neuvième joueuse à remporter au moins deux fois Roland-Garros dans l'ère Open après Margaret Court, Chris Evert, Martina Navratilova, Steffi Graf, Monica Seles, Arantxa Sanchez, Maria Sharapova et Serena Williams. Une bonne compagnie, pour le moins...