La vague azzurra

 - Iris Chartreau

Cinq joueurs italiens sont qualifiés pour le troisième tour. Un retour sur le devant de la scène pour une nation historique du tennis.

Matteo Berrettini, Roland-Garros 2020, 2e tour©Cedric Lecocq / FFT

Les "Forza !" n’ont jamais autant retenti sur les courts de Roland-Garros. Cinq Italiens sont encore en course au soir du deuxième tour : Matteo Berrettini (8e), Lorenzo Sonego (46e), Stefano Travaglia (74e), Jannik Sinner (75e) et Marco Cecchinato (110e). C'est une première pour le tennis transalpin dans l’ère Open.

Le déclic Cecchinato

Le tennis italien a déjà connu des heures de gloire à Roland-Garros. Nicola Pietrangeli, champion à la vie de star de ciné, reste la référence, avec son doublé 1959-1960. Adriano Panatta, funambule du filet, reste le dernier à avoir triomphé en 1976. Mais depuis ? Les femmes ont pris le relais.

Le titre de Francesca Schiavone en 2010 a servi d’exemple à une génération de championnes, victorieuse de quatre Fed Cups. Flavia Pennetta a remporté l’US Open 2015, tandis que Roberta Vinci et Sara Errani échouaient sur la dernière marche (finales de l’US Open 2015 et Roland-Garros 2012, respectivement).

Depuis deux ans, le rapport s’est inversé. Ce sont les garçons qui portent haut l’étendard azzurro. D’après les premiers intéressés, le parcours éblouissant de Marco Cecchinato à Roland-Garros en 2018 a créé une émulation parmi ses compatriotes.

Le Palermitain, alors 72e mondial, s’était hissé jusqu’en demi-finales, faisant tomber au passage Novak Djokovic, alors qu’il n’avait jamais remporté le moindre match en Grand-Chelem. Un déclic, dixit Matteo Berrettini : "Oui, tout a commencé avec Marco. On s’entraînait avec lui et on s’est dit : 'd’accord, ce gars est bon, mais il n’est pas monstrueux, donc on peut le faire aussi'."

Stefano Travaglia, Roland-Garros 2020, 2e tour©Corinne Dubreuil / FFT

Stefano Travaglia, qui n’avait jamais dépassé le deuxième tour d’un tournoi du Grand Chelem à 28 ans, partage cet avis. "Évidemment, les joueurs se motivent entre eux et je pense que c’est ce qui s'est passé depuis sa demi-finale. Et puis bien sûr, c'est aussi grâce à Fabio Fognini, qui a été dans le top 10." Membre du top 50 depuis près d’une décennie, le talentueux et imprévisible joueur de San Remo a même connu le plus beau moment de sa carrière tout récemment, en remportant le Masters 1000 de Monte Carlo en 2019.

Cette année 2019 a d'ailleurs été riche en succès, avec l'arrivée de Matteo Berrettini dans le top 10 et la progression fulgurante de la pépite de 19 ans, Jannik Sinner, de la 553e place mondiale à la 78e en une saison seulement. Le vainqueur du Masters "Next Gen" 2019 a déjà épinglé plusieurs gros calibres du circuit à son tableau de chasse : Stefanos Tsitsipas, Gaël Monfils, Benoît Paire et David Goffin à deux reprises, dont la dernière dimanche dernier sur le court Central de Roland-Garros, au premier tour.

Avec un an de moins, l’ancien numéro un mondial junior Lorenzo Musetti, vainqueur du Challenger de Forli la semaine dernière, est sur la même voie. Eliminés par le Toscan à Rome il y a deux semaines, Stan Wawrinka et Kei Nishikori peuvent en témoigner.

Une fédération active

La fédération italienne se frotte les mains. D’autant que Matteo Berrettini, désormais leader de la génération montante, a salué son travail en conférence de presse. En 2004, la "federazione" a mis en place le centre technique de Tirrenia, en Toscane, afin de repérer et de former de futurs champions.

Après plusieurs années de rodage, la structure a gagné en expertise. Le travail de Filippo Volandri (ancien 25e mondial), à la tête du secteur masculin depuis quatre ans, est loué par tous. Le directeur technique avait pour objectif de rajeunir le tennis italien, porté les trentenaires Fabio Fognini et Andreas Seppi, et d’amener un maximum de joueurs au professionnalisme.

Marco Cecchinato, Roland-Garros 2020, 2e tour©Corinne Dubreuil / FFT

Un programme a été créé spécialement pour les joueurs de 18 à 24 ans, qui reçoivent des invitations sur les tournois nationaux. Matteo Berrettini, qui a émergé sur le tard, a bénéficié de ce coup de pouce, ainsi que d’une aide technique avec la mise à disposition de coachs.

"On peut rester en Italie et être moins fatigué que si l'on voyageait plus, confirme le joueur romain. C’est parfait pour les plus jeunes, qui peuvent être rapidement confrontés au haut niveau."

Plus d'invitations certes, mais aussi et surtout plus de tournois organisés localement, comme le rappelle Riccardo Piatti, l’entraîneur actuel de Jannik Sinner, ancien mentor d'Ivan Ljubicic, de Richard Gasquet ou de Milos Raonic.

"Cette augmentation du nombre de Challengers et de tournois Futures en Italie permet évidemment aux joueurs de se confronter à la compétition mais aussi de gagner des points. C’est également un plus pour les entraîneurs. Ils peuvent voir ce qui manque à leurs joueurs et travailler ensuite sur leurs faiblesses."

L’Italie est en effet le deuxième pays qui organise le plus de tournois Challengers après les Etats-Unis : une vingtaine chaque année. En Future, les jeunes peuvent se mesurer presque toutes les semaines sans parcourir des milliers de kilomètres et dépenser des sommes astronomiques. CQFD.

Lorenzo Sonego, Roland-Garros 2020, 2e tour@Loic Wacziak / FFT

Le tennis à la "moda"

Et derrière, ça pousse encore. Alors que deux Transalpins étaient présents en moyenne dans les tableaux juniors de Grand Chelem entre 2015 et 2018, ils étaient cinq à débuter trois des quatre Majeurs la saison dernière et trois à Wimbledon. Musetti a remporté le titre à l’Open d’Australie en 2019. En 2020, un an plus tard, le contingent azzurro à Melbourne a encore augmenté, avec sept joueurs.

La densité parmi les meilleurs juniors résulte aussi du nombre grandissant de licenciés. De l’autre côté des Alpes, le tennis est un sport qui monte. Recensant 130 000 licenciés au début des années 2000, la fédération compte désormais 350 000 affiliés. Premier sport individuel, le tennis a aussi détrôné le basket-ball, pour monter sur le podium derrière le football et le volley-ball.

Riccardo Piatti se réjouit de cette situation mais ne s’en contente pas. "Il nous reste encore trois ou quatre ans de dur labeur pour enregistrer de meilleurs résultats encore", avance l’entraîneur, qui a ouvert un centre d’entraînement à Bordighera, à proximité de la frontière française, où Cecchinato s'est visiblement refait une santé.

"Hormis Berrettini, qui est entré dans le top 10, les autres n'ont encore rien fait, poursuit-il. Je ne crois pas qu’avoir quatre ou cinq Italiens au troisième tour de Roland-Garros soit suffisant."

L’objectif du tennis italien ? Un Grand Chelem chez les messieurs évidemment. "Dans trois, quatre ans, Nadal, Federer et Djokovic seront moins compétitifs ou arrêteront. Il y aura une ouverture et ces garçons de la Next Gen devront être prêts." Cette nouvelle génération qui brille déjà par sa "grinta", rêve de refaire résonner un autre très joli mot de la langue de Dante : "campione !"